Où comment je suis devenu Fou !
- Christophe
- 25 sept. 2018
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 déc. 2021
Grand Raid Réunion - Officiel, Diagonale des Fous, 167km, 9982m +
Fevrier 2016 : Le tirage au sort m'enlève quasiment toute chance de participer à la Diagonale des Fous, l’étape de l’Ultra Trail World Tour qui me fait rêver et qui est considérée comme l’une des dix courses les plus dures au monde. Je suis relégué en 732e place de la liste d’attente qui comprend les 770 malchanceux … sniff …
Mai 2016 : Alors que je ne m’y attendais plus, je reçois un mail de l’organisation du Grand Raid fait de caractères indéchiffrables. Je déroule tout de même la cinquantaine de lignes ; tout à la fin je comprends que je peux y prendre part. J’ai dix jours pour confirmer. Les vols ont augmenté, la durée du séjour sera plus courte mais qu’à cela ne tienne, le démon des 40 ans n’attend pas. C’est le destin me dis-je, le lendemain je valide. Jusque-là tout va bien mais il faut commencer à penser à la prépa.
Préparation : Le Marathon de Paris, début avril avec la Team Compex, m’a donné une base. Avant d’allonger les distances, je vais donc me concentrer sur des trails de 13 à 30 km jusque début juin. Je profite d’une semaine de vacances dans le Sud pour faire le Trail des Maures (21km) et m’entraîner plusieurs fois dans un Estérel surchauffé. Fin juin, direction l’AMT (93km, 5000m+) que je boucle en 15h41, plutôt frais et en ayant tiré les leçons de 2015 sur l’alimentation et la gestion de course. Durant la semaine de vacances de juillet, je fais quelques sorties longues dans le Massif des Maures sous le cagnard. Début septembre, je fais un bloc de 120km en une semaine dont deux jours dans les Ardennes belges et françaises avant de participer la semaine d’après au 64km du Trail de la Côte d’Opale, à la cool juste pour faire des kilomètres. Ça peut sembler tôt mais je commence alors à réduire la voilure côté volume à six semaines de l’échéance en misant sur l’option fraîcheur. Je m’entraîne toujours mais raisonnablement ; par contre je m’applique à préparer du matériel fiable, performant et le plus léger possible car nous aurons tout de même entre 4 et 5 kilos sur le dos en permanence. Sur ses conseils, dans les dernières semaines je vois deux fois mon osthéopathe Franck Gaeremynck qui résout mes problèmes de dos et l’aponévrosite qui commençait à pointer le bout de son nez. Dans le même registre, je passe une soirée avec Rémy Hurdiel, maître de conférences et chercheur à l’Université du Littoral. Autour d’une bière, il me présente une étude passionnante qu’il a menée sur deux éditions de l’UTMB et il me donne les clefs pour élaborer ma stratégie « sommeil ».
Dimanche 16 octobre : C’est une journée que j’attends depuis longtemps avec la 20e édition des Boucles de l’Aa que la ville de Gravelines organise en partenariat avec “Courir à Gravelines” et “Gravelines Athlétisme”. 1800 inscrits, record explosé, et surtout des nouveautés qui ont donné une nouvelle dimension à l’épreuve. Mario Kart, les joueurs du BCM, les mascottes et personnages ont fait rêver les “Baby” en bouclant les 300m avec eux. Je récupère Jules qui a fait le parcours ainsi qu’Elise et nous filons aussitôt direction Orly avec nos amis Nabil et Soumia qui sont venus pour la course. Je suis déçu que ma fille Marine ne soit pas du voyage mais elle a repris les cours récemment et travaille en alternance.
Arrivée à l’aéroport Roland Garros de Saint Denis, lundi à 6h50, nous sommes déjà dans l’ambiance car les participants au Grand Raid ont un accueil spécial sous un chapiteau sur les pelouses de l’aéroport. Robert Chicaud, le président en personne, vient échanger quelques mots puis nous avons le droit à un verre d’accueil, un souvenir et une danse de Maloya. Très vite, quand je vois les panneaux d’affichage et les vitrines des commerces je me rends compte que c’est toute l’île qui bat au rythme de l’événement. J’avais lu un article récemment sur le phénomène trail en pleine expansion à la Réunion, et ça se confirme ; il y a des gens qui courent et des shops de running partout.
Les journées du lundi et du mardi sont consacrées au repos, Stella, la fille de Patrick, un collègue nous rejoint. Les petits s’éclatent et nous alternons lagon et piscine. Y a pire dans la vie. En mode boulet, je trouve le moyen de m’entailler le gros orteil sur le fond du lagon… J’ai deux jours pour optimiser la cicatrisation et Fred, une amie infirmière, me donne des conseils au top via Facebook.
Mercredi 19 octobre :
La pression monte d’un cran avec le retrait des dossards. La ville de Saint Pierre est prise d’assaut. Une file énorme de coureurs attend sous le cagnard, heureusement les bénévoles sont nombreux et ça passe vite ! Je récupère le fameux dossard 51 (qui me vaudra nombre de blagues), la casquette saharienne, les t-shirts ainsi que les sacs d’allègement. Les coureurs sont ensuite choyés dans le village des partenaires et j’ai le plaisir de rencontrer Antoine Guillon, vainqueur l’an passé et tenant du titre sur l’Ultra Trail World Tour. Un grand champion qui inspire le respect des traileurs mais qui est surtout resté hyper simple et accessible. Sur facebook, il n’hésite pas à donner des conseils aux participants quand il prépare une course.
Sacrilège, nous déjeunons ensuite dans une crêperie bretonne histoire de rester sur des choses maîtrisables diététiquement … Je passerai l’après-midi à préparer tout le matériel et les sacs histoire d’être zen le jour J. L’air de rien ce sont plus de 200 objets différents à répartir.
Jeudi 20 octobre 2016 :
Je n’ai pas passé la nuit parfaite, contrairement aux deux précédentes, mais j’ai dû dormir 7h ce qui, pour une veille de course, n’est pas si mal ! Séance de capillarisation le matin sur Compex. Puis de 14h à 16h, je me repose en faisant une séance de relaxation via youtube sans pour autant trouver le sommeil. J’enfile ensuite la tenue de combat, je m’inquiète lorsque je mets les chaussures car je ressens bien l’entaille que je me suis fait dans le lagon deux jours plus tôt (fausse alerte au final). Hormis ça, tous les voyants sont au vert. 17h50, je prends la navette au niveau du Village Corail de l’Ermitage à Saint Gilles. Elise est émue, je l’a rassure. Au fil des kilomètres, le cortège des bus navettes est salué par la population à coups de klaxon. Nous longeons le littoral, le soleil se couche sur la mer. Le tableau est superbe.
19h30, nous arrivons à Saint Pierre. Nous déposons les trois sacs d’allégement dans les camions à destination de Cilaos, Sans Souci et de l’Arrivée. Puis viens le contrôle des sacs. Je cherche après Charlotte la bénévole du Grand Raid qui m’a laissé un message sur l’article de DELTA FM mais je ne l’a reconnais pas. Dommage. Par contre, le bénévole qui contrôle le matériel me dit que mes deux bandes ne sont pas valables car pas vraiment adhésives… Oups heureusement qu’il y a un petit stand qui me permet de corriger le tir sauf qu’il ne reste que des bandes énormes… Tant pis pour moi, pas le choix…
Et me voilà donc sur la zone d’attente située en bord de mer à la « Ravine Blanche ». Je vais grignoter et boire un peu au stand. Il y a un grand concert avec le groupe Ziskakan, groupe phare de la Réunion. Les speakers font monter l’ambiance. Une équipe de tournage est en train de réaliser un film et enchaîne les scènes. Pour ma part, je me couvre bien car il y a un vent froid puis je m’allonge. Alors que je somnole depuis une heure, je sens que la foule des coureurs s’active. Je me lève et là je me rends compte que tout le monde se masse contre les barrières. Il reste 15mn, je ne suis pas stressé, je savoure l’ambiance et j’essaie de me placer un peu mieux car je suis en toute fin de peloton. L’hymne du Grand Raid nous prend les tripes. Les 2500 coureurs sont ensuite libérés pour rejoindre la ligne de départ officielle située 200m plus loin.
Départ – Domaine Vidot (km15) : 5, 4, 3, 2, 1, le départ est donné. Les premiers kilomètres se passent devant une foule en délire de plusieurs dizaines de milliers de personnes qui tend les bras pour nous faire des « checks ». C’est énorme ; un feu d’artifice est tiré. D’un coup il fait super chaud, j’enlève donc le maillot manche longue sauf qu’en ôtant mon sac j’ai fait tomber une flask de 500ml d’eau sans m’en rendre compte… Il faudra que je tienne jusque Cilaos (km 67) avec 1l maximum entre les ravitaillements, heureusement que l’essentiel se fera de nuit. Je suis dans le derniers tiers, je grappille des places sans allonger la foulée ; après 6km les choses sérieuses commencent avec le début d’une ascension d’une quarantaine de kilomètres jusque Piton Textor. Dès les premiers lacets j’entends des coureurs essoufflés ; la route risque d’être longue pour eux… Nous entrons ensuite dans les champs de Canne à Sucre Isautier, les amateurs de rhum apprécieront. Nous doublons les joëlettes parties un peu plus tôt non sans les encourager. Et voilà le premier ravitaillement qui se profile, je recharge les cartouches et ça repart. Je suis 1293e.
Domaine Vidot – Notre Dame de la Paix (km25) : A peine sorti de Domaine Vidot, c’est la grosse frustration. Nous sommes sur des singles super sympas sauf que ça bouchonne. Au total, je serai à l’arrêt pendant une heure … Dans ma tête, le démon compétiteur bouillonne mais l’ange raisonnable qui ne pense qu’à l’objectif finisher le tempère. La situation s’améliore quelques kilomètres avant Notre Dame de la Paix. Il ne fait pas chaud, à peine quelques degrés ; la veste et les gants ne sont pas de trop. Après moins de 4h de course, je suis étonné de voir pas mal de coureurs en vrac. Beaucoup s’arrêtent même pour vomir. Bon ap ! Nous traversons alors des zones truffées d’arômes en fleurs.
Notre Dame de la Paix – Piton Textor (km 41) :
Après une nuit d’ascension à des pourcentages raisonnables (- de 15%) j’atteins Piton Textor, à 2165m d’altitude. Le jour se lève, le spectacle est splendide. J’essaie d’immortaliser la scène mais je perds une 2e flasque en enlevant le sac pour prendre le téléphone portable. Je reviens en arrière de quelques mètres et, coup de chance, une dame me l’avait ramassé. Ouf ouf ouf car avec 500ml je ne serai plus dans les clous côté règlement et ce serait probablement trop peu pour m’hydrater suffisamment. Piton Textor – Mare à Boue (km 51) :
J’entame la première longue descente jusque Mare à Boue et c’est là que j’aperçois une couleuvre. Elle n’a rien d’impressionnant puisque c’est une Typhlops braminus (merci google); à peine plus gros qu’un verre de terre. Ma remontée commence à s’enrayer un peu (1057e) ; je ne sais pas si c’est la fatigue ou une carence mais je profite du ravito de Mare à Boue pour m’offrir un festin. Je me nourris et je bois systématiquement à chaque halte mais là d’avantage. Boisson, biscuits salé, pommes et bananes, et un plat de riz/poulet. L’endroit à découvert n’est pas propice pour faire une nap de sommeil alors je repars d’autant qu’il commence à pleuvoir.
Mare à Boue – Cilaos (km67) :
Comme par enchantement ça monte de nouveau et les jambes reviennent ; après avoir déposé pas mal de coureurs nous formons un groupe d’une dizaine de gars sur un train sympa. Je me divertis l’esprit en essayant de comprendre les discussions entre Créoles rasta. Une fois au sommet, nous basculons dans les coteaux Kerveguen toujours sous une pluie fine. C’est là que je comprends la réputation de cette longue descente technique qui nous amène au cirque de Cilaos. C’est glissant, abrupt, technique, dangereux… Un chantier ! Pour une fois, je ne m’en sors pas trop mal en descente mais les locaux nous déposent quand même. La beauté du paysage contraste avec l’enfer que nous vivons. C’est un peu la douche froide, lorsque nous doublons un coureur au visage en sang en train de descendre tant bien que mal aidé par un bénévole. Ils ne souhaitent pas d’aide mais ça calme bien. Une fois en bas, changement radical d’ambiance pour les quelques kilomètres qui nous amènent à Cilaos. Il fait soudainement extrêmement chaud, c’est presque étouffant. Je suis plutôt bien car je viens d’être classé pour la première fois sous la barre des 1000. Je passe un coup de fil à Elise afin de la rassurer. Nous avions un temps envisagé qu’elle me rejoigne ici avec Jules mais lorsque nous avons appris que la route comprend 400 virages nous avons renoncé. Je rejoins Nicolas Duchateau, un excellent traileur nordiste qui vient lui aussi pour réaliser un rêve. Au ravitaillement, nous pouvons récupérer le sac d’allégement. Je me fais soigner une petite cloque par une podologue pendant qu’un kiné sympa me scotche avec une bande de strap mon sac dont la doublure vient d’exploser. Après cette nuit en course, je fais une nap de 20mn sous la tente prévue pour le repos. Je ne sais pas si je suis parvenu à dormir mais j’ai au moins somnolé. A mon réveil, Nicolas vient de s’allonger, il est accompagné de son frère Thomas et du Dunkerquois Alex que je n’avais pas reconnu sur le coup. Nous échangeons quelques mots et notamment sur le fait que notre environnement habituel ne peut en aucun cas nous préparer à ce genre de terrain. Comme prévu, je change également de chaussures afin de varier les zones d’échauffement, je change de batterie dans la frontale, je recharge en Sportenine, spiruline, vitamine et gels. Pour la première fois, je n’ai pas trop d’appétit mais je me force à manger quelques pâtes et poulet. Je pensais repartir avec les Chtis mais ils viennent à peine de se poser alors je file.
Cilaos – Marla (km80) : Je quitte Cilaos sous le cagnard total en étant repassé au-dessus des 1000 suite à mon arrêt récup. C’est une cuvette magnifique mais littéralement étouffante. J’ai beau mouiller ma casquette saharienne plusieurs fois, elle sèche en quelques secondes. Dingue…
Le parcours est momentanément roulant et en partie ombragé ; alors je déroule un peu. Peut-être un peu trop car soudain me voilà au pied d’une ascension terrible de 8km à plus de 15% en plein soleil ! Le paysage est magnifique dans le cirque mais c’est littéralement l’enfer jusqu’au début du sentier du Taïbit où je me ravitaille en speed car nous sommes en plein soleil. Bien m’en a pris car le reste de la montée va mieux se passer jusqu’au sommet du Taïbit, non sans avoir goûté à la fameuse tisane des 3 Salazes à base de fleurs et offertes par une association locale. A chaque sommet et même régulièrement sur les pentes se trouvent de petites chapelles colorées édifiées dans la roche. Nous basculons dans la descente qui mène vers Marla alors que le soleil disparaît et que la fraîcheur nous gagne. En à peine trois kilomètres, je me tords trois fois la cheville ce qui me laisser à penser que cette montée a laissé des traces. Autant dire, qu’après m’être ravitaillé, je décide de me couvrir et de m’allonger à côté d’autres coureurs pour une 2e nap. Un bénévole nous apporte une couverture qui tombe a pique. Aussitôt allongé, aussitôt endormi. 20mn plus tard je me réveille en pleine forme.
Marla – Ilet à Bourse (km 97) : Et me voilà parti à l’assaut de la nuit dans le cirque de Mafate. Terminés les bouchons, le peloton s’étire. Pour la seule fois de toute la course, je me retrouverai même seul dans la nuit noire pendant deux, trois kilomètres sans voir personne devant ni derrière. Un instant de pur plaisir qui n’aurait peut-être pas plu au magicien 📷;-). Côté classement, j’arrive à Sentier Scout en 913e position. Mon petit repos n’a pas eu d’incidence mais il a bien rechargé les batteries. Mieux même, je continue de grappiller. A une heure du matin, j’arrive à Ilet à Bourse fatigué après une longue descente durant laquelle il faisait tantôt chaud, tantôt froid selon l’exposition du virage aux courants d’air. Il faut que je sois concentré car il y a de longs passages de 50cm à 1m de large maximum à flanc de falaise et de ravin. Fatigué et convaincu du bien fait des naps, j’en enquille une 3e sous la couverture de survie cette fois, elle sera moins prolifique car un vent froid s’est levé subitement mais je repars quand même avec de bonnes jambes.
Ilet à Bourse – Maïdo (km 115) : Bien relancé et alors que François D’Haene vient d’arriver en vainqueur à la Redoute, je passe pour la première fois de ma vie le cap des 100km en course au ravito de Grand Place Ecole. Sans traîner pour autant car les deux prochains points que nous devons atteindre (Roche Plate et Maïdo) sont réputés pour être les plus grosses difficultés et j’ai envie de profiter de la relative fraîcheur pour en avaler le maximum. Dans la nuit, la procession des frontales à flanc de montagne est magique surtout au moment où la lune se glisse entre deux sommets. Un peu moins de 3h30 plus tard, je parviens à Roche Plate. C’est littéralement la cour des miracles. Le ravito est situé en plein courant d’air. Je ne me sens pas d’embrayer immédiatement sur le terrible Maïdo. Je calcule vite ; c’est bon je peux me permettre une nap sans risquer de le grimper sous le soleil. Il n’y a plus de place, je dors assis sur un escalier, la tête entre les genoux et 20mn plus tard ça repart en pleine forme.
Je grimpe très bien, c’est grisant, seuls quelques coureurs du trail de Bourbon me doublent. Le jour se lève comme par magie dans les derniers hectomètres pour me révéler un paysage inoubliable. Pas étonnant que ce patrimoine naturel soit classé au Patrimoine Mondial. Un hélicoptère et un drone filment cette scène magnifique. J’entends le public en haut, je marque un peu le pas sur les derniers mètres mais ça y est je bascule à Maïdo Tête Dure à la 773e place. « Si à Maïdo Tête dure tu arrives, la Redoute tu verras », je lis le panneau, ça me donne le sourire même si je relativise. Au revoir Mafate !
Maïdo Tête Dure – Ecole Sans Souci (km 128) : C’est parti pour une longue descente plutôt sympa car roulante. Je trouve une saharienne abandonnée et je la ramasse pensant que son propriétaire serait content de la retrouver vu le soleil de plomb. Et effectivement, six kilomètres plus loin je faisais un heureux et quand je vois ce qui nous attendait après je pense que je me suis fait un copain pour la vie 📷;-) Après avoir pu allonger la foulée durant quelques kilomètres, j’arrive à Sans Souci.
Et là j’entends quelqu’un qui m’appelle par mon prénom. C’est Charlotte, originaire de Oye-plage, elle est kiné bénévole sur le Grand Raid et profite de son temps de repos pour venir voir des potes dans la course. Elle est tout simplement adorable. Elle me guide sur le ravito, nous déjeunons ensemble. Je ne suis pas trop loquace en raison de la fatigue et de la chaleur mais ça me fait bien plaisir. Charlotte me parle d’amis communs et me raconte ses aventures. Elle propose même de me masser ; mais après 36h de course sans douche je ne vais pas lui imposer ça, d’autant je n’ai aucune douleur musculaire. J’ai juste les pieds qui chauffent un peu. Je change d’ailleurs de chaussures en passant en option tout confort avec les Altra Lone Peak 3.0 car nous avons récupéré ici le 2e sac d’allégement. On se fait une photo souvenir et je file. Merci Charlotte Dernis !
Ecole Sans Souci – La Possession (km 146) :
Il est 10h du matin et le soleil tape déjà à + de 30°C alors que nous traversons la rivière des galets. Les heures qui viennent vont être terribles. Nous grimpons vers Dos D’Ane en nous aspergeant dès que possible. Je double un créole qui se plaint du soleil, c’est le monde à l’envers. Je ne résiste pas à l’envie de lui dire en souriant que je viens du Nord de la France, il se marre et arrête de se plaindre. Quelques habitants nous aspergent d’eau ; soulagement passager mais jouissif. Un autre créole qui a vécu en métropole passe son temps à me parler ; ça fait plaisir. On parle des courses que l’on a pu faire sauf que je n’arrive pas à tenir une conversation très complexe dans ces conditions. Enfin nous arrivons au sommet puis à Chemin Ratineau après un slalom entre les lianes où je ressemble probablement plus à Balou qu’à Tarzan. Entre-temps j’avais profité d’un passage plus soft pour allumer le téléphone afin de donner des infos à Elise. Je reçois des SMS de potes qui me suivent et m’encouragent. Je suis ému, ça me fait un bien fou.
Je sors de Chemin Ratineau avec une patate d’enfer bien décidé à fondre sur la Possession d’autant que le plan dessiné sur le dossard indique une descente pas trop pentue. Et pourtant depuis le départ, je sais bien que le relief de – de 100m n’y figure pas … Bref, je vais vivre l’horreur avant d’arriver à la Possession tant la descente est pierreuse. J’avance raisonnablement mais je suis dans le dur quand j’arrive à la Possession. La présence d’Elise et de Jules me réconforte. Je mange, je m’hydrate et je me couvre de crème solaire car il ne doit pas faire loin des 40°C exposé au soleil. C’est un four, on voit bien des nuages à l’horizon mais rien au-dessus de nos têtes.
La Possession – Colorado (km 162) : Je dis à Elise que, sauf défaillance, je pense arriver aux alentours de 22h et je file. Alors que je longe une route nationale en bord de mer, ils me doublent en voiture et m’encouragent juste avant que je me retrouve au pied de ce maudit chemin des Anglais. On y va « Step by Step » comme dirait les New Kid on The Block. Au début, ça grimpe d’entrée à + de 15% mais le chemin est plutôt clean bien qu’exposé aux UV. Heureusement, doucement mais surement le soleil va rejoindre la mer et le mercure redescendre petit à petit. J’entends une voix connue qui me rattrape. C’est celle de Zinzin Reporter, ce journaliste de France 3 célèbre dans le milieu du trail pour poster des vidéos embarquées sur youtube de ces courses dont la Diagonale. Nous discutons un peu et j’en profite pour lui dire qu’il accompagne la plupart de mes entraînements indoor sur tapis ou elliptique. Sinon la fin de la portion jusque la Grande Chaloupe est un vrai chantier. Ravito. Enfin ! Un mars et ça repart, euh non une pomme, une banane, un verre d’eau et ça repart. Ça grimpe très dur en début de portion puis la pente s’adoucit et les derniers kilomètres pour arriver au Colorado se passent super bien.
Colorado – La Redoute (km 167) : Dernier ravitaillement, j’en profite pour mettre le t-shirt du Grand Raid obligatoire pour l’arrivée. Je pars à l’assaut des derniers kilomètres ; devant moi un concurrent s’allume une clope… Non, non ce n’est pas une hallucination. Probablement sa manière de savourer. Quoiqu’il en soit je ne vais pas vraiment savourer car les kilomètres de descente qui nous séparent du stade sont hyper techniques et risqués. Après avoir failli valser, j’assure ; ça me coûtera quelques places mais le proverbe « qui fait le malin tombe dans le ravin » pourrait réellement se vérifier ; ce serait trop bête. Sur le coup je trouve vraiment dommage que l’organisation n’ait pas prévu une fin plus roulante que l’on puisse savourer. Après coup, je me dis que ce n’est pas surprenant, le Grand Raid c’est du début à la fin, nous ne sommes pas là pour faire du tourisme.
Je vois le stade, il reste une ligne droite de 400m sur le plat, je déboule à 15 km/h pour retrouver Elise et Jules ; Elise Isaert - Legoutheil avait pensé nous photographier mais je lui propose de se joindre à nous ; il est 21h42mn55s quand nous coupons la ligne. 721e place pour un temps de 47h42mn35s Moment magique. Je reçois le t-shirt de finisher, Jules est fier avec la médaille est une dame nous donne le kit du survivant ! Je m’assois quelques instants. Le président Robert Chicaud vient échanger quelques mots ; je le félicite et je lui dis que j’ai beaucoup pensé à la responsabilité d’une telle organisation durant le parcours. Il m’explique qu’il redoute surtout la 3e nuit qui vient de commencer car c’est généralement la plus compliquée en termes de sécurité. En tout cas, chapeau bas Mr Chicaud car c’est tout à votre honneur de savoir rester proche des coureurs lorsque l’on gère un tel événement à la notoriété mondial. Avant que je le constate par moi-même ; Elise m’explique alors tout l’engouement qu’il y a eu sur les réseaux sociaux pour le suivi que ce soit par des sportifs ou non sportifs, de la famille, des amis ou des inconnus. Ça me touche, non pas par héroïsme puisque avec un peu de volonté et de préparation beaucoup pourraient relever le défi, mais surtout parce que le partage d’expérience est une notion qui me tient à cœur. C’est d’ailleurs l’esprit qui anime le Team Gravelines Trail. Je resterai bien dès heure sur ce stade mythique mais il faut que je me relève tant bien que mal. Le kilomètre qui me sépare de la voiture sera clairement le plus dur de la journée. Je monte dans le véhicule et dix secondes plus tard je dors…
La récupération se passe très bien. Juste quelques courbatures le dimanche et les pieds gonflés pendant 48h. Je ne vais pas m’enflammer car la fatigue va forcément se faire sentir à un moment. “D’âge en âge, on ne fait que changer de folie” disait Pierre Claude Nivelle de la Chaussée ...A bientôt pour de nouvelles aventures … Christophe
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